Le grand continent blanc ou la grande boucle ?
Lorsque l’on se sent des envies d’aller de l’autre côté du monde, dans le sud du Grand Sud, il n’est pas forcément facile de faire un choix. À partir de la Terre de Feu, il faudra de toutes façons s’aventurer sur le vaste océan Austral, mais quelle destination ensuite : péninsule Antarctique ou îles subantarctiques ? La péninsule Antarctique, bien sûr, est une destination unique, exceptionnelle à découvrir lors d'une croisière Antarctique. C’est la région du grand continent blanc la plus accessible et la plus proche de la Patagonie, et il faudrait avoir vu au moins une fois dans sa vie les paysages somptueux de l’Antarctique, les incroyables icebergs tabulaires, sans oublier manchots, otaries à fourrure et baleines, pour ne citer qu’eux. Mais il y a aussi la possibilité d’accomplir ce que nous autres guides appelons « le grand tour » ou la « grande boucle », qui inclut un court séjour en Antarctique mais fait surtout la part belle à quelques îles subantarctiques.
Un arc sous la mer
Subantarctiques, vous le savez, cela signifie que ces îles sont, par définition, au nord de l’Antarctique, mais celles que nous allons évoquer ont une particularité : elles sont presque toutes situées sur l’Arc de la Scotia, également qualifié d’Arc des Antilles Australes. Le Scotia était un navire de recherche scientifique de la « Scotish Antarctic Expedition » qui a parcouru ce secteur de l’océan Austral au début du 20ème siècle. Un arc, quel arc me direz-vous ? Autrefois pont terrestre entre l’Amérique du Sud et l’Antarctique, cette chaîne de montagne volcanique de 4 000 kilomètres de long (excusez du peu !) est considérée comme le prolongement sous-marin de la chaîne des Andes qui s’étend jusqu’à la péninsule Antarctique ! Une grande boucle orientée vers l’est dont quelques sommets émergent, formant des îles ou archipels dont le nom fait rêver plus d’un amateur de terres lointaines : Géorgie du Sud, Sandwich du Sud, Orcades du Sud, Île Éléphant, Shetland du Sud…
Malouins au bout du monde
Commençons par des îles qui sont un peu en dehors de l’arc, mais qui n’en valent pas moins le détour : les Falkland, que les francophones (et surtout les bretons !) préfèrent largement appeler Malouines… à juste titre d’ailleurs puisque les marins de Saint-Malo furent les premiers colons de l’archipel ! À un peu moins de 500 kilomètres à l’ouest de la Patagonie argentine, ces îles collinéennes et sablonneuses, qui furent visitées par le grand Darwin en personne, offrent à la flore et à la faune des habitats de choix sur les plages, au fond des baies ou sur les falaises. Manchots de Magellan, manchots papous et leurs cousins les gorfous sauteurs sont relativement faciles à observer, certaines plages accueillent même le manchot royal. Le magnifique albatros à sourcils noirs, relativement petit par rapport à d’autres espèces d’albatros (son envergure atteint seulement 2,50 m…) niche aux bords des falaises afin de pouvoir s’envoler facilement, c’est une récompense de l’approcher. Et lorsque la météo est trop sévère pour se prêter à la promenade naturaliste, rien ne vous empêche de faire un tour au pub de Port Stanley, la petite capitale !
Le paradis des manchots royaux
Île en forme de croissant perdue au milieu de l’océan et battue par les vents, la Géorgie du Sud est un paradis lointain formidable avec ses sommets enneigés, ses plages immenses et sa faune extraordinaire. Bien sûr, il faut mériter ce bout du monde : à partir des îles Malouines, il faut encore parcourir 1 400 kilomètres vers l’est pour atteindre ce morceau de l’Arc de la Scotia, sur une mer bien formée, c’est le moins qu’on puisse dire… N’oublions pas que l’île est en plein milieu des fameux « cinquantièmes hurlants » ! Mais le jeu en vaut la chandelle. Les plages de Géorgie sont inoubliables. Enchâssées dans un décor somptueux avec l’arrière-plage envahie par le tussock, cette graminée qui atteint 2 mètres, le tout sur fond de glaciers. Mais surtout, comment ne pas être est submergé par l’émotion lorsqu’on débarque au milieu de dizaines de milliers de manchots royaux, d’otaries à fourrure et d’éléphants de mer ! Des animaux à perte de vue, produisant un fantastique son et lumière (et une odeur singulière il faut bien le reconnaître). À d’autres endroits, ce sont les albatros qui font le spectacle, comme le délicat et très joli albatros fuligineux, et l’immense albatros hurleur qui porte aussi le nom charmant de grand albatros neigeux ; le voir déployer ses ailes dont l’envergure peut dépasser 3,50 m est un choc aussi ! Et n’oublions pas l’aspect historique : à Grytviken, ancienne station baleinière, on trouve la tombe de Sir Ernest Shackleton, grand explorateur polaire, un petit musée, une petite poste… mais pas de pub ! En hiver, il n’y a que trois habitants permanents, des officiers britanniques.
Neige aux Sandwich et brouillard aux Orcades
À l’extrémité orientale de l’Arc, puis plus à l’ouest en suivant la grande boucle, on trouve deux archipels, les Sandwich du Sud et les Orcades du Sud. Recouvertes en grande partie par les glaciers, ces îles se trouvent en outre sur le trajet de grosses dépressions et la neige, le brouillard et les tempêtes y sont fréquents. Ce qui n’empêche pas les terres libres de glace d’accueillir une avifaune variée. Manchots papou, Adélie, à jugulaire et gorfou macaroni s’y reproduisent, ainsi que les pétrels géants et les pétrels des neiges, qui portent bien leur nom : l’envergure du premier peut atteindre deux mètres et le second est blanc immaculé, à l’exception de ses pattes, son bec et son œil. Côté marin, les éléphants de mer et les otaries à fourrure antarctiques sont omniprésents, et les léopards des mers profitent de l’abondance des manchots, leurs proies favorites. Les baleines à fanons comme le rorqual commun ou la baleine à bosse apprécient les eaux côtières riches de ces archipels. Quant à l’homme, il se fait rare… personne sur les Sandwich et seulement deux petites bases scientifiques sur les Orcades (une argentine et une anglaise) !
Des éléphants plutôt que des poneys aux Shetland !
Porte d’entrée de l’Antarctique, l’archipel des Shetland du Sud se trouve à une centaine de kilomètres au nord du continent blanc. La plupart des îles sont volcaniques, la plus spectaculaire et la plus active étant l’île de la Déception, un immense cratère de dix kilomètres de long, ouvert sur la mer : c’est l’un très rares volcans dans le monde à l’intérieur duquel on peut entrer en bateau ! La faune est très abondante sur l’ensemble de l’archipel, avec dix-sept espèces d’oiseaux marins dont cinq espèces de manchots, et de nombreux pinnipèdes, c’est à dire phoque crabier, phoque de Weddell, léopard de mer, otarie à fourrure et éléphant de mer. D’ailleurs, la plus nordique des Shetland est l’île Éléphant, ainsi baptisée par les chasseurs de baleines au 19ème siècle en raison de la grande colonie d’éléphants de mer qui y fut découverte. Sauvage et déserte (du point de vue humain), elle est néanmoins célèbre car Ernest Shackleton et ses hommes s’y réfugièrent en 1916, dans des conditions très difficiles, lors de l’incroyable épopée qu’ils vécurent, bloqués dans les glaces puis livrés à eux-mêmes après avoir vu leur navire « l’Endurance » broyé par la banquise…
Une faune abondante, des histoires incroyables d’explorateurs polaires, des paysages tantôt tout à fait extraordinaires, tantôt très austères, les îles subantarctiques réservent toujours bien des surprises et nous réapprennent à nous émerveiller !
Crédits images : ©Sylvain Mahuzier