Spitzberg est la plus grande des îles de l’archipel du Svalbard, posée sur les eaux arctiques entre le Cap Nord de la Norvège et le Pôle Nord. Sur un peu plus de 39 000 km2 de terres gelées, 22 000 sont occupées par des glaciers.
Issus de la dernière glaciation, ils se sont formés il y a en moyenne 10 000 ans et sont actuellement composés de reliques glaciaires vieille de 1 000 ans. En période estivale, leur progression est rapide et les baies sont colonisées de glaçons parfois aussi gros que des maisons.
Les tensions et les frictions exercées par leurs mouvements produisent une musique aussi mystérieuse qu’envoûtante dont l’écho résonne sourdement sur des dizaines de kilomètres dans le grand silence blanc.
Ces colosses de glace à la course lente et ininterrompue sculptent la silhouette effilée et acérée de l’île dont le nom signifie littéralement « Montagnes pointues ».
L’enchantement augmente avec l'englacement à mesure que l’on pénètre dans les régions les plus septentrionales de l’île, aux frontières du 80° parallèle et au-delà. D’ouest en est et du nord au sud, partons à leur rencontre et succombons à leur magnétisme.
À l’ouest, les géants de l’Isfjord et de la Baie du Roi
En raison de son climat continental plus sec, la région occidentale de l’Isfjord est une des plus peuplées représentant un véritable refuge pour les hommes comme pour les animaux.
Bien qu’elle soit l’une des régions les moins englacées, elle compte malgré tout une dizaine de glaciers imposants dont les 5 géants : Esmarkbreen, Nansenbreen, Borebreen, Wahlenbergbreen, Sveabreen. Leurs eaux douces, en se mêlant aux eaux salées de la Mer du Groenland et à ses courants chauds produisent des fonds riches et abondants en nutriments divers qui attirent une avifaune variée.
Mais c’est plus au nord de l’Isfjord que l’on peut admirer la féerie des grands glaciers du Spitzberg dont le ballet incessant redessine les paysages de l’île heure après heure, jour après jour.
En remontant ainsi vers des latitudes plus hautes, le Kongsfjord abrite dans sa Baie du Roi, des glaciers spectaculaires très actifs qui engendrent une grande quantité d’icebergs, dont le Kongsvegen et le Kronebreen avec leurs imposants fronts glaciaires communs.
Au Nord, les glaciers des princes et des rois
Terre historique des baleiniers du 17ème siècle et zone d’explorations scientifiques mythiques, les terres septentrionales du Spitzberg fascinent par leur gigantisme et la beauté de leurs paysages.
Ici les nombreuses îles et les côtes escarpées dessinent les frontières de Lands qui rendent hommage aux rois et aux princes : Albert Ier de Monaco, Haakon VII, Oscar II et Olav V... C’est le territoire des glaciers souverains qui étendent notamment leur majesté et leur suprématie au cœur du Parc National du Nord-Ouest.
Les premiers d’entre eux trônent dans le Krossfjord, Baie de la Croix nommée ainsi en raison de la croix érigée à son entrée par le baleinier anglais Jonas Poole en 1610. A leur tête, le Lilliehöökbreen présente un front de glace théâtral en arc de cercle, long de 7 km, et en recul depuis plus d’un siècle maintenant, à l’image des autres glaciers du Krossfjord qui laissent derrière eux d’étonnants décors morainiques.
Dans la Baie de la Madeleine, Magdalenefjorden, la beauté des paysages composés de glaciers alpins attirent chaque année de nombreux croisiéristes qui tombent sous le charme d’un décor magnétique au sein duquel s’épanouit une faune libre et sauvage : ours et renards polaires ainsi que de nombreuses colonies d’oiseaux marins.
Plus loin, en pénétrant à l’intérieur du Woodfjord, c’est un paysage digne de Mars qui est dévoilé. La forte teneur en oxyde de fer héritée du Dévonien (entre 360 et 415 millions d’années) de ses côtes rocheuses lui donne une couleur rouge qui contraste avec beauté dans ce désert de blanc et de bleu glacials.
À l’embouchure du Woodfjord, le Liefdefjord, fjord de l’amour, est la porte d’entrée romantique vers l’incontournable Monacobreen, sans doute l’un des plus beaux glaciers de l’île. Il doit son nom au Prince Albert Ier de Monaco dont l’expédition permis sa cartographie en 1906-1907. Des crêtes acérées des montagnes du fjord culminant à près de 1 000 m coule un front de glace large de plus de 5 km qui se déverse dans la mer dans un tableau naturel magnifique, empreint de grâce et de puissance.
Les rivières sous-glaciaires de ce géant charrient avec abondance plancton et nutriments variés qui attisent la gourmandise de milliers d’oiseaux, dont les sternes et les mouettes tridactyles. Phoques et bélougas profitent également de la richesse de ces eaux tout comme l’ours polaire.
Encore plus à l’est, le Wijdefjord, le large fjord, est le plus long du Spitzberg et semble transpercer l’île du nord au sud. Peu propice au mouillage, les nombreux glaciers qui vêlent au sud de ce couloir long de 108 km restent assez impénétrables par voie d’eau. L’impressionnant Mittag-Lefflerbreen, majestueusement blotti au fond de l’Austfjord, reste donc relativement inaccessible et se dévoile aux seuls randonneurs aguerris qui pénètrent dans le Parc National du Wijdefjord Intérieur.
Du côté du plateau du Ny-Friesland, la gigantesque calotte de glace Åsgårdfonna, demeure des dieux de la mythologie nordique, abrite le point culminant de l’île, le Newtontoppen (en hommage au mathématicien Isaac Newton). Les paysages, composés de glaciers aux séracs vertigineux y sont aussi spectaculaires que confidentiels.
À l’est, là où la nature devient artiste
L’est de l’île est dominé par le puissant Negribreen dont les imposantes masses de glaces s’écoulent jusque dans le Storfjord. De gros icebergs, parfois tabulaires, se détachent de son front.
Ces débris glaciaires aux formes et aux couleurs inattendues créent des œuvres aussi improbables que fascinantes au milieu desquelles la navigation tourne au voyage chimérique.
La Nature se transforme alors en une artiste absolue, souveraine et poétique. Ce tableau unique se peuple de nouveaux personnages fantastiques durant les mois de mai et de juin lorsque les côtes glacées de l’est accueille des colonies de phoques du Groenland.
Ces derniers terminent paisiblement leur mue sur les plaques de banquise en dérive, nonchalamment exposés à l’appétit de l’ours blanc qui aime rôder et chasser sur ces terres fertiles.
Au sud, les sommets ténébreux du Hornsund et du Bellsund
C’est sans doute sur l’extrémité méridionale de l’île, dans le Hornsund, que les vikings auraient débarqués dès le 12ème siècle. C’est un monde ensorcelant de glaciers qui se terminent en paysages morainiques sombres, en sandur et en plaines d’épandages striées par des rivières d’eau de fontes aux multiples ramifications.
Sur les hauteurs, des massifs alpins escarpés abritent les plus hauts sommets du Sud-Spitzberg. Un paysage dantesque aussi inquiétant que fascinant. Au plus profond de la vaste baie du Brepollen, Baie des glaciers, une gigantesque arène de glace déploie son cirque sur plusieurs kilomètres de diamètre, là où les fronts de plusieurs glaciers se succèdent.
Parmi eux le Chomjakovbreen, le Mendeleevbreen, ou encore le Storbreen. La continuité de ce front de glace impressionnant est cependant inlassablement atténuée d’année en année par le recul des glaciers et la fonte des glaces.
Les glaciers du Bellsund qui s’inscrivent au coeur d’un territoire situé à mi-chemin entre le Hornsund et l’Isfjord sont eux aussi soumis à la même fatalité.
Cette région se compose d’un réseau ramifié de fjords qui pénètrent les terres en profondeur. Le fjord principal du même nom se ramifie en 3 fjords secondaires qui abritent chacun un glacier : le Recherchebreen, (du nom du bateau d’expédition français La Recherche qui transportait la Commission scientifique du Nord entre 1838 et 1840) — le Nathorstbreen et le Paulabreen.
Ces transformations climatiques créent cependant des paysages somptueux, dévoilant des plages au sable brun sur lesquelles viennent s’échouer quelques blocs de glaces, étonnantes œuvres d’un Land Art totalement naturel et spontané. Les zones de toundra sont également répandues et représentent des terres d’épanouissement pour une flore riche et sauvage.
En partant à la découverte des grands glaciers du Spitzberg, c’est une nature à la fois puissante et fragile qui s’offre à nous. Le spectacle époustouflant de beauté et de majesté de ces titans des glaces nous rappelle à notre rôle et à nos devoirs en tant qu’hommes afin de veiller à son respect et à sa protection.