Les précurseurs : ces premiers voyageurs en zone polaire
Les premiers voyageurs, des explorateurs motivés par leur soif de découvrir des étendues vierges, étaient peut-être des touristes qui s’ignoraient, mais le confort et les dangers n’étaient pas les mêmes…
Mis à part quelques courageux jouant au trappeur dans le Grand Nord canadien ou descendant les rivières d’Alaska en canoë, le grand public ne connaissait des régions polaires que les récits tantôt fabuleux, tantôt terrifiants des explorateurs polaires :
La dernière expédition de Franklin en 1845, à l’issue de laquelle 129 hommes de l’Erebus et du Terror ne revinrent jamais ; l’incroyable dérive de Nansen sur la banquise entre 1893 et 1896 ; le passage du Nord-Ouest trouvé en 1905 par Amundsen après 3 ans d’expédition ; le même vainquit le Pôle Sud fin 1911 alors que son rival Scott y trouva la mort quelques semaines après ; les expéditions en ballon dirigeable dans les années 1920… autant d’aventures polaires qui marquèrent les esprits.
Au milieu des années 30, les nations commencèrent à s'impliquer davantage dans la recherche scientifique et l’Arctique bénéficia d’un effet de curiosité : le premier grand agent de voyages polaires, Thomas Cook, organisa en 1937 des croisières vers le Cap Nord, l’Islande et le Svalbard.
L’avènement du tourisme en Arctique
Après la 2ème guerre mondiale, la 3ème année polaire internationale (1957-58) provoqua un regain d’intérêt pour ces destinations, qui ne restèrent accessibles qu’à une petite élite compte tenu des prix très élevés jusqu’aux années 1970-80.
Les tours opérateurs vont finalement réussir à faire baisser les prix en faisant partir des groupes organisés, en tablant sur le principe que voyager à plusieurs revient moins cher que voyager seul ou en très petit nombre. De plus les États investissent davantage dans les infrastructures qui profitent au tourisme comme les aéroports, voies ferrées, ports et routes.
Dans les années 90, la Russie a du mal à entretenir ses navires océanographiques, et pour sauver des emplois, décide de les louer à des organisateurs de croisières polaires. Seront ainsi affrétés le Kapitan Klebnikov, le Professor Molchanov, le Vavilov et bien d’autres.
Dans le même temps, de grandes compagnies européennes lancent leurs propres navires de croisière et ce marché particulier devient florissant. Aujourd’hui il reste dynamique mais s’est stabilisé autour d’un million et demi de visiteurs en Arctique chaque année.
Huit pays sont concernés par le tourisme arctique, ceux qui ont des territoires au nord du cercle polaire : Canada, Danemark (Groenland), États-Unis (Alaska), Finlande, Islande, Suède, Norvège, Russie.
Cap sur le Grand Sud
De l’autre côté de la planète, le tourisme démarra un peu plus tard compte tenu que le continent Antarctique est plus difficilement accessible.
Ce sont les Chiliens et les Argentins qui en furent les pionniers. En 1956, un DC6 argentin survola pendant 4 heures la péninsule antarctique avec 66 passagers. Puis comme pour l’Arctique, la 3ème année polaire internationale de 1957-58, très médiatisée, suscita un intérêt très vif. Des voyages furent dès lors organisés jusqu’aux Shetland du Sud puis jusqu’au continent lui-même, sachant que le chemin le plus court est celui qui conduit de la Terre de Feu à la péninsule Antarctique.
Quelques voiliers privés s’y aventurèrent ainsi, puis en 1969 le vrai pionnier des « croisières-expéditions » en Antarctique, le Lindblad Explorer, achemina 100 passagers américains à chaque croisière. Cette destination enthousiasma le public et d’autres bateaux devenus célèbres suivirent, tels le Bremen, le Fram et bien d’autres.
Les régions fréquentées sont essentiellement le tiers nord de la péninsule Antarctique et les Shetland du Sud, mais des croisières d’environ 3 semaines permettent d’effectuer le « Grand Tour », à savoir Terre de Feu - Îles Malouines - Géorgie du Sud - péninsule Antarctique-Terre de Feu.
Dans les années 1980, on comptait 2000 visiteurs par an en Antarctique. Aujourd’hui, ce sont au moins 50 000 touristes qui y font escale pendant la saison favorable, c’est-à-dire entre novembre et février. Sans compter l’équipage et le personnel accompagnant…
Voyage en zone polaire : des motivations diverses
Les régions polaires sont lointaines et nécessitent un long temps de transport, le coût des voyages et des croisières est élevé… sans parler des mers houleuses ou de l’inhospitalité notoire des contrées visitées. Alors qu’est-ce qui peut bien motiver les voyageurs ?
En premier lieu, il y aura toujours la découverte de la faune polaire : ours, baleines et phoques, manchots et albatros ravissent tout le monde, à plus forte raison lorsque des guides-conférenciers expliquent leurs comportements.
Il y a bien sûr l’attrait des grands espaces sauvages, et puis l’imaginaire de beaucoup d’entre nous baigné par les récits des succès et des drames vécus par les explorateurs polaires.
Et puis le tourisme polaire se démocratise, les prix baissent, les activités se diversifient (faire du kayak entouré de glace n’est pas désagréable…), et le profil des voyageurs aussi.
Le revers de la médaille
Bien sûr, cette fréquentation croissante n’est pas sans inconvénients. En Arctique, l’ouverture des passages du Nord-Ouest et du Nord-Est à la navigation touristique et industrielle multiplie les risques de marées noires.
La végétation arctique si fragile est piétinée plus intensément, et ne parlons pas de la destruction de la toundra par les véhicules 4x4. En Antarctique et dans les îles subantarctiques, l’introduction accidentelle de graines étrangères peut fragiliser l’équilibre écologique local et conduire à la disparition de plantes autochtones.
De plus, la plupart des voyages coïncident avec la période de reproduction d’une bonne partie de la faune, qui peut être impactée par une fréquentation accrue et des observations trop proches des animaux.
Des tours-opérateurs responsables
Heureusement, il existe plusieurs réglementations internationales qui permettent de limiter les dégâts potentiels.
Au sud, l’association internationale des tours-opérateurs en Antarctique, IAATO en anglais, regroupe la plupart des voyagistes travaillant dans cette région. Elle a été créée en 1991 pour défendre, promouvoir et développer un tourisme respectueux de l’environnement, et la réglementation instaurée est très précise.
Quelques exemples : les bateaux de plus de 500 passagers ont interdiction de les débarquer où que ce soit. Les navires de 200 passagers peuvent débarquer partout où cela est autorisé (à condition d’avoir au préalable envoyé un calendrier détaillé), mais seulement en 2 rotations, c’est à dire pas plus de 100 passagers à la fois. Le fuel léger, plus cher mais moins polluant, est obligatoire. Les règles d’approche des oiseaux et des mammifères marins sont strictes.
Le succès d’IAATO au nord a poussé les agences qui opèrent dans le nord à adopter des mesures équivalentes, et en 2003 l’AECO a été créée avec l’objectif de limiter au maximum l’impact des croisières arctiques, et de garantir le respect des cultures locales. Cependant, le contexte est plus compliqué qu’au sud, car les pays imposent chacun leur réglementation.
Émerveillement et vigilance
La protection de la nature passe par le stade de l’émerveillement et de la compréhension. Cela nécessite une découverte et un constat par soi-même, sur place.
Mais il nous faut rester vigilants, respecter les règles établies, être attentifs au choix du type de voyage à effectuer, et au sérieux des agences qui les proposent.
Au retour, si vous êtes sensibilisés, vous deviendrez des ambassadeurs des mondes polaires, et nous avons besoin de vous !